Avertissement : cette newsletter parle de la série Bad sisters et donc de violences sexistes. Je raconte quelques scènes de la série, mais à mon sens ça ne gâche pas l’intrigue et ne constitue pas de vrais spoilers.
Note : je parle dans cette newsletter de ma place de femme cisgenre, et c’est dans cette acception ci que j’utiliserais le terme femme.
J’ai dévoré la série Bad Sisters (dispo sur Apple TV), et ça a vraiment été un immense coup de cœur ! J’aimerais qu’elle soit dispo sur d’autres plate-formes plus populaires, parce qu’elle mérite vraiment d’être vue 1!
La série se passe en Irlande, où l’ont fait la connaissance de 5 sœurs, qui forment un clan très uni 2. Le mari de Grace, John Paul (JP, ou The Prick pour ses belles-sœurs) meurt. On comprend très vite que les sœurs ont quelque chose à voir avec sa disparation, et c’est aussi ce que semblent penser les deux frères3 qui gèrent la petite entreprise familiale d’assurance qui est censée payer la prime d’assurance vie de Grace.
Censée, car la société est proche de la banqueroute, et ne peut pas payer cette prime. Tous les moyens vont donc être bons pour mener l’enquête et prouver que la mort du Prick n’est pas accidentelle.
Au fil des épisodes, on découvre la relation qu’avait JP avec chacune des sœurs, et pourquoi chacune avec des raisons très légitimes de lui en vouloir 4. Car JP est un homme violent, sans foi ni loi, manipulateur et … psychopathe, tout simplement. Pour être honnête, je n’aurais pas tenu si je n’avais pas su dès le départ qu’il meurt à la fin tellement c’est une ordure.
Sa relation avec Grace est donc teintée de violence : emprise, rabaissement, humiliations, violences psychologiques et allant même jusqu’à de la violence physique.
J’ai trouvé que cette série traitait particulièrement bien deux aspects :
Les violences subies par Grace :
On voit les mécanismes à l’œuvre dans cette relation, on voit Grace s’amenuiser, prendre moins en moins de place, devenir l’ombre de son ombre, se silencier, s’effacer. On sent la joie et la vie la quitter peu à peu. On est témoins des sursauts qu’elle a parfois. Elle a une fille adolescente qui dans toute sa maladresse la bouscule parfois et lui donne envie de reprendre sa place.
Il y a une scène très touchante où elle va dans un cours de danse pour la première fois. Elle ose faire quelque chose pour elle, pour la première fois depuis des années. On se dit que ça y est, un premier jalon est posé, elle sort de la maison, elle va s’en sortir, on reprend de l’optimisme ! Sauf que non, ce cours ne se passe pas comme prévu, c’est trop pour elle, trop d’un coup. Il y a trop d’elle à donner d’un coup. Le Prick enfonce le clou quand elle rentre en lui faisant remarquer à quel point c’était couru d’avance, que ça n’était pas sa place, et qu’elle est bien mieux à la maison.
Je trouve l’interprétation de Anne-Marie Duff (Grace) bouleversante à bien des égards. On y sent une grande sensibilité. Physiquement également, sa performance est notable : Grace se tient voutée, le regard vers le sol, les cheveux filasses, les sourcils toujours froncés et ses grands yeux semblants toujours être désolés. Cela peut paraitre cliché dans la manière dont je le décris, mais non, il y a beaucoup de subtilité dans son jeu je trouve.
La sororité :
L’autre aspect qui m’a beaucoup plu dans Bad sisters, c’est évidement le reste de la troupe des sœurs ! Elles sont là pour Grace, autant que possible lorsque l’on a une proche qui subi des violences.
Elles sont inquiètes de la voir disparaitre à petit feu. Elles ne la reconnaissent plus. Il y a une vraie solidarité entre elles, elle ne se jugent pas, et s’unissent contre le Prick qui a décidé de leur gâcher la vie à chacune.
Tout n’est pas lisse, on voit la dynamique familiale à l’œuvre, on voit les rancœurs du passé, les modes de fonctionnement hérités de leur histoire familiale, les rôles attribués à chacune. Mais ça fonctionne. Elles arrivent à être là les unes pour les autres malgré leurs différences et leurs désaccords.
Je n’ai pas de sœurs, je ne me rend pas compte d’à quel point c’est une vision romantisée et idéalisée, mais vu le potentiel de nuisance du Prick5, croyez moi, c’est bienvenu !
L’esprit de cette série m’a rappelé Big little lies, que j’avais beaucoup aimé également.
Les personnages n’étaient pas sœurs, “seulement” amies, mais elle développaient également des relations très fortes et beaucoup de solidarité entre elles.
Je crois que dans le monde patriarcal et violent dans lequel nous vivons, ça fait du bien de voir des clans, des meutes de femmes qui s’unissent, se soutiennent, et parfois se débarrassent elle-même de l’oppresseur quand elle savent que la justice ne pourra rien pour elles.
Il y a quelque chose de galvanisant dans ces histoires. Une vraie satisfaction de voir ces hommes violents être enfin mis hors d’état de nuire. Pourtant, dans la vie civile, j’ai drôlement envie de croire dans le pouvoir d’une justice réparatrice, mais il faut croire que dans la fiction, je n’ai aucun mal à voir des femmes faire justice elles mêmes.
A croire que comme Virginie Despentes ( je crois ? Je n’ai pas réussi à retrouver la citation exacte ) , je pense que peut-être les hommes y réfléchiraient à deux fois avant d’agresser des femmes s’ils avaient peur qu’on fasse justice nous même, par la force.
Pour revenir à la sororité, c’est un terme qui j’ai découvert assez récemment. Il est apparu dans les discours féministes mainstream il y a quelques années, en même temps qu’il apparaissait comme un étendart sur des t-shirts fabriqués dans des conditions sans doute pas ouf pour les femmes, mais bon, ceci est un autre débat.
Cette notion de sororité m’a fait du bien. Elle voulait dire pour moi “on est ensemble”, “je te crois”, “je te soutiens”. Des termes forts, vraiment forts. Elle est venue remplacer la “solidarité féminine” qui était le plus souvent utilisée à des fins de blague pour désigner les “bonnes femmes” qui se soutiennent entre elles, sous entendu, pour une fois qu'elles ne se tirent pas dans les pattes. Oui, parce qu’on a quand même grandit avec cette idée que les femmes entre elles se crêpent le chignon, font les commères, et sont en constante rivalité. Cela nous pousse à vouloir se dégager de cette vision et dire des conneries du genre “non, mais je ne suis pas comme les autres femmes” ou “je me suis toujours mieux entendu avec les hommes qu’avec les femmes”, parce qu’on la veut cette place au soleil, cette place auprès des hommes dans les lieux de pouvoir, dans les sphères de décision.
La sororité6 vient rebattre ces cartes, nous faire voir les choses autrement, et nous faire comprendre que l’ennemi n’est finalement ni cette autre femme, ni cet homme (sauf le Prick et Darmanin, quand même, eux, ils cherchent), mais bien notre bon vieux patriarcat.
Bon dimanche et à bientôt.
traduction : j’ai besoin d’en parler avec des gens, please !
la série est d’ailleurs une adaptation de la série belge CLAN que je n’ai pas vue
tiens, une autre fratrie
oh, doux euphémisme…
le type est vraiment pire qu’un cafard, et c’est vraiment pas sympa pour les cafards, dixit l’amie qui m’a conseillée la série
Je parle de sororité car c’est directement en lien avec le clan des soeurs de la série bad sisters, mais dans la vraie vie, on peut lui préférer le terme d’adelphité qui est plus inclusif en englobant les personnes non cisgenre et non binaires.
J’avais adoré la série belge Clan ! Le Jean Claude était un tel despote plein d’une mesquinerie banale car on ne découvrait sur lui que des petits secrets bien lâches. C’était bien vu de ne pas en avoir fait un pedophile ou un tueur , simplement un macho qui abuse de son pouvoir sur sa femme, son voisin, son collègue … J’ai aussi été très sensible à l’ambivalence des sentiments entre les sœurs, mais qui au lieu d’entamer leur lien, va forger une nouvelle alliance à la fin de la série. Je vais tester la version irlandaise je crois ! Merci Azilis
Faut vraiment que je me réabonne à Apple TV (dès que la nouvelle saison de Ted Lasso arrive de toute façon...). J'aime vraiment croire que la sororité prend de l'ampleur, mais parfois les vieilles habitudes ont la peau dure je le crains (je pense notamment à comment Amber Heard a pu être traitée par d'autres femmes, ça me rend triste - j'ai vu le documentaire sur l'affaire hier soir, c'est encore tout frais dans ma tête). Mais ne perdons pas espoir !