Je ne sais pas si ce sont toutes les discussions autour du travail provoquées par la réforme des retraites, ou l’actualité personnelle me concernant, mais le fait est que je pense beaucoup au travail ces temps ci.
Pour celleux qui ne me suivraient pas sur Instagram, je suis photographe. Sauf que depuis le début de l’année, mon activité, qui était déjà timide, se retrouve quasiment à l’arrêt, mise à part pour quelques petit·es client·es locaux que j’adore. Je n’ai pas eu d’autres choix que de me mettre assez urgemment à la recherche d’un boulot salarié.
Et ce fut dur. Pas la recherche d’un boulot salarié, ça a même été étonnamment facile. Il se trouve que mon ancien métier (assistante sociale) et en tension en ce moment (je pense que beaucoup de collègues ont saisis l’opportunité du Covid pour entamer une reconversion, en ayant marre d’être payées des clopinettes pour faire un boulot super dur, prenant, avec grave de responsabilités, zero moyens et quasi autant de reconnaissance)(et elles ont bien eu raison si vous voulez mon avis). Bref, donc, j’ai été recrutée sur le seul et unique poste que j’ai convoité.
Et donc, je disais, ce fut dur. Dur pour l’égo. De se dire que je n’ai pas réussi à vivre de ma passion. Que je suis en échec, alors que tant d’autres semblent réussir. Merci le miroir déformant des réseaux sociaux…
Je voulais tellement y arriver. J’étais TELLEMENT fière de dire “je suis photographe” quand on me posait la question de savoir ce que je fais dans la vie. Tellement ! Vous n’imaginez pas !
Mais voilà, ce métier-passion ne me fait pas vivre, ne me fait pas payer ce put**n de loyer, et me permet encore moins de mettre de l’argent de côté pour des projets d’avenir1 .
J’ai donc l’impression, dans ma vision de la vie qui peut parfois manquer de souplesse, qu’il y aurait 2 hypothèses possibles :
vivoter de la photo, en restant toujours précaire
vivre plus confortablement en étant salariée 2
Donc, voilà à peu près le dilemme que j’expérimente en ce moment : rester dans un salariat confortable en terme de salaire et avec des conditions de travail relativement correctes (tellement rare dans le social), ou retenter la photo à plein temps et retrouver la précarité. Je sais que ça n’est pas si binaire. Il y a d’autres choses à imaginer : Peut être que je ne serais pas toujours précaire en étant photographe ? Peut-être qu’un jour j’aurais le mindset de girlboss ( croyez moi, je l’avais, mais il a été rudement mis à mal ) et le CA qui va avec ?
C’est peut-être juste la crise économique qui frappe fort en ce moment et empêche la prospection d’aboutir ?
Je pourrais imaginer travailler à mi temps comme salariée et faire de la photo à mi temps ? (ou une autre répartition de quotité horaires)
Why not, mais je ne sais pas si j’arriverais à me projeter à long terme sur ce modèle. Je trouve que c’est très exigeant de mener de front deux activités si différentes.
Mais au final, ça me pousse aussi à m’interroger sur savoir si j’ai ce qu’il faut pour envisager une vie de freelance.
Est-ce que je m’imagine toute ma vie être dans l’incertitude financière chaque mois ? Est-ce que j’aurais toujours l’énergie et la foi nécessaire pour démarcher sans cesse ?
Est-ce que je suis tout simplement apte à fournir une charge de travail nécessaire pour faire plus que vivoter ? Parce qu’il faut être claire, les personnes qui vivent confortablement de la photo sont des machines de guerre qui dégainent les photos en mode automatique3, créent des moodboard plus vite que leur ombre, ont les bons wordings pour démarcher, et ne s’arrêtent JAMAIS. Ou quasi jamais.
En vrai, moi, j’aime pas trop travailler.
J’aimerais juste avoir un peu d’argent pour payer mes factures, les frais véto de June, aider mes parents, et zou, je passerais mes journées les mains dans la terre, les yeux dans le ciel, et parfois les pieds dans le sable de l’océan.4
Je tempère un peu ce que je vous dit là, car, j’habite en ville, et ne crache jamais sur un petit matcha latte au lait d’avoine comme la bobo que je suis, ne nous leurrons pas. C’est sans doute aussi ce qui me retiens de tout plaquer et d’aller vivre dans une cabane au fond des bois. Y’a pas de cabanes à matcha latte au fond des bois.
Ce que j’apprécie (appréciais ?) le plus dans ma vie de freelance, c’est de pouvoir organiser mon temps comme je le veux. Ca n’a l’air de rien, mais, boudu, ce que ça conditionne plein de choses au final !
Prenons le sommeil par exemple. Je suis une grosse dormeuse. Quand j’étais freelance, il n’était pas rare que je me lève à 9h30. Et ça m’allait parfaitement bien. Le reveil à 7h depuis que j’ai repris le salariat pique TRES SEVEREMENT.
Je parle pas juste du matin qui est un peu dur.
Non.
Vous voyez cette sensation d’yeux qui piquent quand on est fatigué·es ?
Et bien dites-vous que j’ai cette sensation absolument toute la journée.
Tous les jours de la semaine.
Et le sentiment que si je cligne des yeux plus de 2 secondes je pourrais m’endormir sur place.
Alors bien évidemment, j’essaye de décaler mon heure de coucher le soir, mais elle n’était déjà pas bien tardive, et je ne me vois pas non plus me coucher à 21h hein. Donc, j’ai l’oeil qui picote. Et c’est nul.
L’autre chose qui est un peu nulle dans la gestion du temps quand on est salariée, c’est le temps de travail lui même. La période est un peu creuse au boulot en ce moment, je n’ai pas beaucoup de travail, du coup, je me retrouve parfois en train de scroller tiktok en essayant de ne pas glousser trop fort. Ou bien, j’en profite pour écrire cette newsletter par exemple.
Mais voilà, boulot ou pas, il faut être là de 8h30 à 16h30.
Point.
T’es plus productive à 18h30 ? T’es pas du matin ? Bah tant pis, adapte toi 🤷♀️.
Avant d’expérimenter le freelançat, je n’avais jamais réalisé à quel point les contraintes horaires du salariat étaient pesantes, et allaient à l’encontre de notre rythme naturel et du fonctionnement de notre cerveau5. Mais ayant connu autre chose, je réalise à quel point c'est contre nature.
Se rendre compte de ça, ça ouvre la porte à des réflexions qui atomisent tout ce qu’on pensait savoir du travail, de la “valeur travail” chère à nos politiques. Ça amène à rêver à des modèles de sociétés où tout serait différent, où on ne devrait pas travailler pour vivre, mais juste vivre.
Les mains dans la terre (je vous refait pas le refrain, vous avez compris).
Azilis.
acheter toutes les salopettes Lucy & Yak
On dirait le dilemme “vivre mou ou mourir vitaminée”, private joke qui ne va parler qu’à une seule personne qui lit ma newsletter mais elle mérite.
Alors que, pas du tout, elles sont en mode manuel, ahah, blague de photographe
Encore une fois, on en serait pas là si vous aviez voté Benoit Hamon quand il en était encore temps.
grosses pensées aux personnes neuro-atypiques qui doivent SOUFFRIR
Merci d'écrire ta vérité, ça me rassure tellement de savoir que je ne suis pas la seule à être fatiguée "all-day-long" au travail, que je n'aime pas non plus des tas cela (ce que je rêverais de passer ma journée à lire/créer par ex.). Et que j'aime dormir, moi aussi, et que j'ai besoin de mon quota d'heures de sommeil. Tu me déculpabilises beaucoup, même si ce n'était pas le but.
En tout cas je pense fort à toi, j'imagine ta dichotomie interne. Je te souhaite de trouver un minimum d'équilibre financier/pro à l'avenir, le plus tôt possible.
Merci pour cette lecture rafraîchissante qui fait du bien et qui titille en même temps! et pour ton ton juste et drôle. C'est toujours un plaisir de te lire, ici ou sur Instagram.
Mariona (qui t'a connu via la recette du bloody burger il y a déjà quelques années... ;) )