Est-ce que j’exagérerai en disant que le body positive m’a sauvé la vie ? Sans doute un peu, mais pas loin.
Le body positive m’a permis d’aller encore plus loin dans mon féminisme et de déconstruire beaucoup de croyances que j’avais sur l’apparence physique, la beauté, la minceur, l’amour de soi et le bonheur. Oui, rien que ça.
Le body positive, c’est quoi ?
Vous n’avez sans doute pas échappé à la tendance Body Positive. Encore inconnu du grand public il y a quelques années, ce terme est aujourd’hui très populaire et recouvre un champ très vaste, allant du militantisme à … l’argument marketing.
Littéralement, le Body Positive pourrait être traduit par “le corps positif”. C’est un mouvement de lutte et de justice sociale pour le respect et la visibilité de tous les corps. C’est un mouvement social qui encourage à la fois la diversité et l’estime de soi, rappelant que les critères de beauté sont construits socialement et varient selon les lieux et les époques.
L’idée sous-jacente est que tous les corps ont leur place dans l’espace public et méritent le respect qu’ils soient gros, avec des handicaps, racisés, non cisgenre, etc… Le Body Positive, c’est un message de bienveillance envers soi-même et son corps ET un mouvement de lutte sociale.
Un peu d’histoire
Avant même de parler de Body Positive, on parlait de fat positivity.
Le Fat Positive est un mouvement social de visibilisation des corps gros créé par des personnes grosses et racisées à la fin des années 60 aux Etats-Unis. Des personnes concernées se sont rassemblées et ont organisé des sit-in (rebaptisés fat-in) pour dénoncer les discriminations dont étaient victimes les personnes grosses.
En 1967, Lou Louderback écrit un article dans le Sunday Times intitulé More People Should be FAT (plus de personnes devraient être grosses) en réponse aux discriminations vécues par sa femme. C’est la première prise de parole publique pour défendre les personnes grosses. A partir de là, différents groupes et organisations se créent, souvent en lien avec les mouvements féministes. Ils sont très diversifiés : certains sont à visée scientifique, militante, artistique, excentrique, radicale...
Le mouvement Body Positive a été remis au goût du jour à la fin des années 90 par le biais de la création d’une association américaine éponyme par Connie Sobczak et Elizabeth Scott. Elles avaient fondé cette association à la suite de la mort de la sœur de Connie qui a développé des troubles alimentaires durant son adolescence
Le Body Positive s’est largement démocratisé depuis, mais cela va aussi de pair avec le fait de s’être vidé de son essence militante. Il est devenu un argument marketing pour beaucoup de marques qui surfent sur la tendance de l’acceptation de soi (qui consiste à poster une photo d’une mannequin avec un peu de cellulite, mais pas à étendre leur gamme de taille par exemple)(Etam, princesse tamtam, on vous voit). Beaucoup de marque utilisent dans leur communication des termes comme “inclusives”, “bodypositives” pour au final proposer des vêtements allant du 34 au 44 (voire 46 dans les bons jours).
Les personnes grosses qui sont à l’origine de la création de ce mouvement s’en voient petit à petit évincées, invisibilisées à nouveau. Les publications générant des likes sur les réseaux sociaux avec le #bodypositive sont celles où les personnes représentées sont le plus proches de la norme.
Néanmoins, malgré ces critiques, il reste un mouvement qui peut être une porte d’entrée pour beaucoup vers l’acceptation de soi, la déconstruction de la culture des régimes dans laquelle nous baignons, et il rend tout de même visible une certaine diversité (après, libre à vous d’aller chercher encore plus de diversité avec les hashtag #fatpositivity, #fatacceptance, #fatbabes…). Le Body Positivity vient remuer nos croyances (il faut être mince pour être belle), nos normes (il faut être belle pour s’aimer), et permet de réaliser à quel point l'apparence physique est devenue importante dans notre société, et à quel point cela peut-être salvateur de s’en détacher.
Le body positive, ce que ça n’est pas
A qui s’adresse le Body Positive ? Peut-on se réclamer de ce mouvement même en ayant un corps dans les normes et ne subissant pas de discriminations ?
Tout le monde, quelle que soit son apparence, peut nourrir des complexes qui peuvent nous pourrir la vie, mais ça n’est pas pour cela que le body positive est né à la base.
Ce mouvement avait pour but de combattre la grossophobie comme discrimination systémique, celle qui laisse des gens sur le carreau de l’emploi, des soins, et pas de parler des complexes.
Pourtant, il suffit de faire un tour sur les publication associées au #bodypositive sur les réseaux sociaux pour voir que les personnes grosses (qui ont créé ce mouvement) sont complètement invisibilisées. On y voit actuellement des personnes dont le corps est dans la norme admise par la société, mais montrant leurs “défauts” au regard de cette norme (un ventre qui fait un pli lorsque la personne est assise par exemple). Cela peut peut-être aider des personnes complexant d’avoir un petit bourrelet une fois assise, mais quid des personnes ayant des gros bourrelets, même debout ?! Où trouvent t-elles des personnes qui leur ressemblent ?
Une autre des critiques faites au mouvement Body Positive, c’est qu’il ferait la promotion de l’obésité et du surpoids, qui seraient mauvais pour la santé. Il faudrait 10 newsletters de plus pour énoncer toutes les subtilités et explications nécessaires pour comprendre que non, ça n’est pas le cas. Mais pour faire court, il faut se rappeler que la santé a une définition large qui englobe la santé mentale, et qu’en aucun cas un critère unique et obsolète comme l’IMC (indice de masse corporelle) ne peut suffire à déterminer l’état de santé d’une personne. Et j’ajoute que, même si une personne est en mauvaise santé, elle a tout de même le droit à pouvoir accéder à des soins de santé corrects, à un emploi, d’exister dans l’espace public sans être discriminée1.
Nous sommes là face à des préjugés bien ancrés concernant les personnes grosses : si elles sont grosses, c’est parce qu'elles le veulent bien, ne font aucun effort, sont paresseuses. Or, le surpoids s’inscrit dans une dynamique bien plus complexe mêlant génétique, environnement social, histoire de vie, maladies, troubles du comportement alimentaires et autres. Les personnes grosses se réclamant du Body Positive ne veulent pas que tout le monde leur ressemblent, elles veulent juste pouvoir avoir leur place dans la société.
Les limites du bodypositive
Une des critiques faites au mouvement Body Positive, c’est l’injonction qu’il peut créer pour chacun·e à devoir aimer son corps. Comme si l’amour de soi était la finalité de ce mouvement, alors qu’il n’en est au final qu’une des voies possibles.
Pour se détacher de cet écueil, certain·es lui préfèrent le terme Body Neutrality qui, en utilisant le terme neutrality à la place de celui de Positive, enlève la pression de devoir absolument aimer son corps.
Aimer son corps n’est peut-être pas accessible à tous·tes, et c’est parfaitement acceptable. L’idée de faire la paix avec semble déjà un objectif plus atteignable. Cesser de le détester, cesser de lui en vouloir, cesser de faire reposer tous les malheurs du monde sur lui.
Et surtout, c’est important de se rappeler que le Body Positive est avant tout un mouvement social, qui a vocation de faire évoluer le regard de la société, et pas de faire peser de nouvelles pressions à un niveau individuel.
Le Body Neutrality permet également plus de lâcher prise vis à vis de son corps : parfois on se trouve canon et on a confiance en nous, et d’autres jours notre reflet dans le miroir est dur à supporter. Et c’est complètement normal et acceptable que ça ne soit pas tous les jours facile.
C’est aussi important de se rappeler que nous ne sommes pas que des corps, et que notre corps n'est pas (plus) notre seule source de préoccupation au quotidien.
Se libérer des injonctions, que ce soit celles du corps parfait, dans la norme, ou de celle de l’amour de soi à tout prix, c’est un chemin qui peut être long et tumultueux, mais je trouve vraiment que replacer ces questions dans leur contexte sociétal aide à se détacher de la pression individuelle.
ces questions sont super interessantes, je vous renvoie à ce lien de l’asso belge Fat Friendly qui est une compilation de ressources sur la grossophobie au sens large (ahah) : https://docs.google.com/document/d/1kQHQ6YEbBB5u_Re1jcv9ncNJ0MUHgKrWiEEJg_NRaKk/edit