Il y a un an je vivais la période la plus dure de ma vie.
Après avoir subitement perdu ma mère, je me suis retrouvée avec la très lourde charge de vider sa maison. Ma maison d’enfance, une de celles dans lesquelles j’ai passé le plus d’années et accumulé le plus de souvenirs.
Une charge à porter seule seule car je suis fille unique et que mes parents sont séparés depuis mon enfance. Techniquement, j’étais entourée à cette période, mes amies, mon mec, ma psy et mon père étaient là. Mais au fond, j’étais seule.
C’est une “drôle” de responsabilité de décider quoi faire des objets. Pour certains il y a une évidence, ce sont des souvenirs évidents. Ils sont chargés d’histoire, de mémoires, d’émotion, on ne se pose même pas la question et on les garde.
Mais les autres ?
Qu’est ce qu’on fait de la collection des Rougon-Macquart que ma mère avait soigneusement achetée avec ses premières payes mais que je ne lirais jamais ? Ils étaient importants pour elle, c’était un souvenir important, même si elle ne les a jamais relus non plus. Mais pour moi, ils sont quoi ?
(je les ai gardés)
Qu’est-ce qu’on fait des cassettes audio ? Je n’ai rien pour les écouter. Autant j’ai gardé les vinyles, autant j’ai hésité longuement sur les cassettes.
(je les ai jetées)
(regret instantané au moment où j’ai vidé la caisse dans la benne tout-venant de la déchetterie)
(j’ai sauvé une cassette de Tracy Chapman, avec l’écriture manuscrite de ma mère, qui s’était glissée ailleurs, je la chérie comme un trésor)
Et puis, il y a les choses qu’on attendait et qui ne se passent pas comme prévu. Je m’attendais à ce que trier ses vêtements soit un crève-cœur, qu’ils convoquent trop de souvenirs encore trop vifs. Et bien pas du tout. Ma mère mettait toujours les quelques mêmes vêtements, son dressing étaient plein d’autres vêtements qui n’évoquaient rien ou presque pour moi. Ça a été facile de les trier et de les donner.
Heureusement, il y avait une benne pour les dons à la déchetterie (oui, c’est devenu mon repaire pendant quelques semaines). Je souris en pensant à toutes ces inconnues qui portent à présent les vêtements et chaussures de ma mère.
Et à l’inverse, trier et décider quoi faire des objets de la cuisine a été une torture. Chialer une spatule à la main c’est un concept. J’imagine que ce sont ces objets, utilisés quotidiennement qui sont venus me rappeler que sa vie s’était terminée bien trop vite et sans prévenir.
Et puis, au delà des catégories d’objets à trier et ce qu’ils nous font vivre, il y a la temporalité. J’ai visiblement pris beaucoup le temps pour trier et vider la maison. Un mois et demi, pas du tout à temps plein, parce que je n’étais pas sur place tout le temps.
Je dis visiblement car je recevais des messages à peine 3 jours après les obsèques me demandant si j’avais fini de trier. Frère, je vis dissociée les trois quart de la journée, évidement que j’ai pas fini.
J’ai aussi beaucoup entendu de récits ou, pour des raisons matérielles ou psychologiques, il FAUT aller vite. En 24h la maison doit être vidée. Ça me semble lunaire. Comment c’est possible ? Je trouve ça si violent. Pour moi ça aurait été rajouter du trauma au trauma, et je suis ravie d’avoir pu me l’épargner. J’ai souvent une pensée pour ses personnes qui auraient aimé prendre plus le temps mais qui en ont été empêchées.
Parce que l’air de rien, débattre intérieurement sur quoi faire de l’égouttoir à vaisselle, c’est aussi digérer, accepter ce qui est en train de se passer. C’est rajouter une pierre à l’édifice mystérieux consistant à “faire son deuil”.
Plus le temps passe plus cette expression me plonge dans un abyme de perplexité. Ça veut dire quoi ? Est-ce que vraiment on peut voir le deuil comme une tâche à rayer de sa to do list ? Est-ce qu’il est composé de plusieurs étapes à effectuer dans un certain ordre pour qu’il soit “complet”. Non, vraiment, plus ça va, moins ça n’a de sens.
C’est comme les gens qui pour décrire leur voyage disent qu’ils ont “fait” tel ou tel pays. Pour moi ça n’a pas de sens non plus.
Il y a des étapes, des pages qui se tournent, des expériences qui s’additionnent (les “premiers” après le décès sont terribles : le 1ère anniversaire, le 1er Noël…), et sans prévenir, on arrive à ce que la terre ait fait une complète révolution, et on a survécu.
Alors j’imagine qu’on repart pour un cycle.









Pendant cette période, je n’avais pas mon appareil photo avec moi. J’ai ressenti le besoin de faire des photos, je me suis donc acheté à la va-vite un appareil jetable que je viens juste de faire développer. Je suis si émue de redécouvrir ces photos. Elle viennent aussi marquer cette période, m’aider à reconvoquer ces souvenirs, par les lieux où les moments qu’elles représentent.
Les photos sont sublimes. Il y a quelques années j'ai passé un an à vider la maison du père de mon copain après son décès, j'ai pu voir de près ce que ça représente ❤️
Tes mots sont si émouvants... j'ai ressenti tes émotions en les lisant...