#1 : Rock'n roll et grossesse multiple
Je suis en train de regarder Gilmore Girls pour la première fois. J'entends très souvent parler de cette série sur Twitter, ou elle est souvent présentée comme série doudou / Madeleine de Proust. Je me suis donc lancée dans l’intégralité des saisons lors d’un moment de disette de série où je ne savais plus quoi regarder.
Lorsque j’ai annoncé le thème de cette newsletter sur Instagram, vous avez été très nombreux·ses à m’écrire pour me dire à quel point vous adorez cette série, et avez vu chaque saison une dizaine de fois.
Du coup, j’ai très peur de vous décevoir, voire de me faire des ennemi·es en vous disant que je n’ai pas été si fan que ça… 🤐
Premièrement : la série a vieilli. La première saison date de 2000, et ça sent énormément dans la réalisation et la manière dont les thèmes sont traités.
Secundo, je trouve quasiment chaque personnage exaspérant 🙈. Alors, je sais que c’est la manière dont est construite la série : des personnages qui ne communiquent pas, ou mal, ce qui occasionne des quiproquo, des occasions manquées, et c’est ce qui crée des rebondissements et l'intérêt dramatique de la série, je l’entends ! Et puis, soyons honnête, si tous les personnages de série savaient communiquer et allaient en thérapie, il n’y aurait plus de séries !
Et enfin, ce qui m’a particulièrement chagriné, c’est la manière dont est traité le personnage de Lane.
Je vous plante rapidement de décor si vous n’avez pas vu Gilmore Girls. La série raconte la vie de Lorelai et Rory Gilmore, à partir de l’adolescence de cette dernière. Lorelai a eu Rory à 16 ans, s’est brouillée avec ses parents avec qui elle reprend contact au début de la série. Elles vivent dans une petite ville (Stars Hollow) où tout le monde se connaît, et elle se considèrent comme meilleures amies. On voit Rory grandir, passer du lycée à la fac, et à la vie adulte.
Le personnage qui nous intéresse ici est Lane, la meilleure amie de Rory. Lane a le même âge que Rory, et est élevée par sa mère Mrs Kim, une mère Coréenne extrêmement autoritaire et religieuse (membre de l’église des adventistes du 7ème jour). La religion est au cœur de ses préoccupations et de sa manière de vivre.
Lane, passionnée de Rock, doit cacher ses CD sous les lattes de son plancher (rep a sa Francis Cabrel), s’habiller comme une petite fille modèle, et bien évidemment, ne surtout pas s'intéresser aux garçons. La seule voie possible pour elle est d’épouser un coréen, médecin de préférence, et choisi par sa mère, bien évidemment.
Tout au long de la série Lane est réellement très réprimée par sa mère, avec des attitudes qui pour moi relèvent de la maltraitance (travailleuse sociale un jour, travailleuse sociale toujours). Mais c’est comme si tout ceci était perçu comme parfaitement normal autour d’elle, par Rory, et par le reste des personnages.
Le pompon sur la garonne revenant à l’épisode ou Rory et elle maquillent pour son mariage une cousine éloignée, Coréenne, qui vient d’arriver aux États-Unis pour marier un homme qu’elle n’a jamais rencontré. Elle ne parle pas la langue, ses yeux sont remplis d’inquiétude.
Aucun commentaire n’est fait.
C’est normal.
On peut presque entendre les gens penser “bah c’est normal, ils sont coréens et super catho quoi *emoji qui lève les épaules*”
Clairement, la série a mis en scène un personnage racisé, ce qui était encore rare pour une série des années 2000, par contre, elle s’est embourbée dans une représentation très clichée (même si inspirée de la vie d’une des productrices). Des articles de personnes racisées pointent le racisme existant dans Gilmore Girls, en voici un par exemple (en anglais) : clic
L’émancipation de Lane ne peut se faire que dans le conflit et la rupture de lien (temporaire) avec sa mère.
Et elle finit par réaliser la prophétie de sa mère : se marier vierge. Elle détestera sa seule et unique expérience sexuelle qu'elle aura lors de sa nuit de noce et qui la fera tomber enceinte.
Elle épouse Zach, le guitariste de son groupe. Et disons que ça n’est pas le couteau le plus affûté du tiroir. Et au delà de ça, il a un égo surdimensionné, est jaloux, et incapable de gérer sa colère.
Tout ce qui tourne autour de la grossesse de Lane est, je trouve, d’une tristesse infinie. Elle ne veut pas être enceinte, elle ne veut pas être maman, pas si tôt. Zach est… Zach, donc pas super aidant (même si ça tend à s’améliorer sur la fin). Elle tremble de peur d’annoncer la nouvelle à sa mère, car bien sur, l’avortement n’est pas évoqué une seule seconde, même pas pensé. On est vraiment sur une Amérique puritaine à souhait. (petite parenthèse pour noter qu’il est très récent d’entendre parler d’avortement dans les séries américaines, le premier souvenir que j’en ai est Christina Yang dans Grey’s anatomy en 2014).
Dans un épisode où elle est enceinte, elle dit “j’ai à peine eu le temps d’être une personne, je suis passée d’ado opprimé à maman de jumeaux”.
Et ça me brise le cœur….
Ne peut-on pas rêver mieux comme traitement pour un personnage secondaire ?
Alors, bien sûr, tout n’est pas censé bien se terminer pour chaque personnage d’une série, mais je trouve que vraiment Lane est mal traitée du début à la fin. Sa tentative pour sortir du chemin tout tracé par sa mère a échoué.
La différence de traitement entre elle et Rory est flagrante. Rory a le privilège d’acceder à un lycée privée, puis une université prestigieuse, et de poursuivre ses rêves, tandis que Lane ne va pas à l’université, et finit par abandonner ses rêves de carrière musicale pour élever ses jumeaux (et on en serait peut-être pas là si son idiot de mari n’avait pas gaché leur chance d’être repéré par un label en faisant son enfant gâte lors d’un concert)(ça se sent que je n’aime pas Zach ou bien ? ).
Il y aurait beaucoup à en dire et à extrapoler sur le privilège blanc et de classe sociale dont jouit Rory, et finalement, la différence de traitement avec Lane vient l'illustrer.
Entendons nous bien, Lane n'est pas à la rue addicte au crack à la fin de la série, donc, on peut se dire que c'est pas si pire. Mais tout de même, j'ai beaucoup de peine pour ce personnage qui aurait du/pu avoir la chance de poursuivre des rêves comme le fait Rory.
J'aurais aimé conclure cette première newsletter avec une conclusion digne de ce nom, mais comme vous le voyez, ça n'est pas le cas 😅
J'espère que ce format vous plait, je pense que mon prochain sujet d'exploration et de réflexion portera sur Buffy 🪓
A très bientôt,
Azilis